Formation de démineurs d’urgence en Irak
HAMAP-Humanitaire coordonne des actions de formation de démineurs d’urgence en Irak.
Depuis 2014, l’Irak est confronté aux offensives du groupe « État islamique » (EI ou Daech), à l’ouest et au nord de son territoire. Les affrontements ont notamment provoqué de nombreux mouvements de population. Plus de 900 000 personnes déplacées se trouvent encore dans la région du Kurdistan irakien et ne peuvent rentrer dans les villes libérées en raison de la menace présentée par les mines et les engins explosifs improvisés (EEI).
Ces EEI sont des engins explosifs de circonstance, appelés également en anglais improvised explosive device (IED). Ce sont des pièges qui existent depuis la création de la poudre. Vous décrochez un téléphone, vous ouvrez un réfrigérateur, vous retournez un cadavre, vous récupérez un fusil ou vous marchez tranquillement sur une route et c’est l’explosion qui souffle tout sur son passage. Ces pièges sont réalisés à partir d’obus récupérés sur le terrain ou à partir d’engrais chimiques mélangés avec d’autres substances qui, mis en contact, provoquent une réaction explosive. Ils peuvent être déclenchés par des moyens mécaniques (fils à traction, relâchement de pression, fils électriques dénudés mis en contact) ou par des moyens électroniques (déclenchement par téléphone mobile, circuits imprimés). L’innovation n’a pas de limite.
Ces EEI aggravent la pollution par les mines et les restes explosifs de guerre (REG), hérités des précédents conflits armés qui ont ensanglanté le pays. Selon les estimations de la Mission d’Assistance des Nations Unies en Irak (MANUI), chaque mois, sur un total de plus de 1 000 blessés parmi les populations civiles d’Irak, 324 accidents en moyenne sont causés par les EEI.
Dans la région du Kurdistan irakien et de la plaine de Ninive, plus particulièrement ciblée par le projet, le retrait des troupes de Daesh laisse des pans entiers du territoire contaminés par des mines et des EEI. A ce jour, seule une infime partie des agglomérations affectées a pu être déminée. Le reste demeure une menace permanente pour de nombreuses communautés et empêche les populations déplacées de retourner dans leur ville d’origine.
Dans les régions du nord de l’Irak, dépendant du gouvernement régional kurde (KRG), les opérations de déminage sont officiellement confiées à deux entités. La première est l’Agence du Kurdistan irakien d’action antimines (IKMAA) qui gère les opérations de déminage humanitaire mises en œuvre par des opérateurs civils, non étatiques tels que les ONG et entreprises commerciales internationales. La seconde est l’armée kurde (Peshmergas). Ces derniers disposent d’un très faible nombre de spécialistes en déminage et d’un niveau d’équipement absolument pas compatible avec la complexité et la dangerosité des tâches qui leurs sont confiées.
Compte tenu de l’ampleur de la contamination et de la faiblesse des moyens en place, il est urgent, en complément des efforts à destination des autorités de Bagdad, d’aider le gouvernement régional kurde à renforcer ses capacités dans le domaine NEDEX afin de se doter des compétences et des équipements en quantité suffisante pour pouvoir éliminer, dans des délais acceptables et en sécurité, les engins explosifs improvisés et les autres restes explosifs de guerre découverts sur les zones récemment libérées.
Dans le cadre de ses missions dans le secteur de la stabilisation, le Centre de crise du Ministère des Affaires étrangères et du développement international (MAEDI) a pris la mesure de l’ampleur de la tâche à accomplir, notamment en vue d’aider les minorités persécutées à retrouver leur terre en toute sécurité. C’est ainsi qu’il a demandé à l’ONG HAMAP-Humanitaire de former en urgence une vingtaine de démineurs de IKMAA et du service de déminage de la défense civile kurde, afin d’améliorer leur capacité opérationnelle dans le domaine de l’intervention contre les EEI.
Depuis 2011, HAMAP-Humanitaire intervient au Moyen-Orient pour que toujours plus d’hommes, de femmes et d’enfants puissent retrouver une vie décente, dans un environnement sûr malgré un contexte régional extrêmement défavorable.
HAMAP-Humanitaire propose ici de mettre son expertise à la disposition de l’Autorité kurde via une approche globale, basée sur une étude fine des besoins de l’entité partenaire et un strict respect des standards internationaux en vigueur.
Une première mission exploratoire a pu être menée, conjointement avec le Centre de crise du MAEDI, et le responsable technique de projet, afin d’évaluer le besoin et les attentes des bénéficiaires. Cette visite, préparée dans le détail en amont par la représentation diplomatique française en Irak, a permis de rencontrer les représentants du gouvernement régional kurde ayant des prérogatives dans le domaine du déminage et de la lutte contre les EEI.
L’objectif de cette mission exploratoire a permis de valider le principe d’une première formation à la lutte contre les EEI au profit d’IKMAA et de collecter les informations nécessaires à la préparation de cette formation et au déploiement de 4 formateurs-experts en déminage du 2 octobre au 30 novembre 2016, à Souleymanié.
Les nombreux échanges ont permis de cerner les contours de la formation à dispenser en fonction des moyens disponibles sur place afin qu’elle corresponde aux attentes des bénéficiaires. Il a été convenu que cette formation serait dispensée par une équipe de quatre experts de niveau international, permettant d’atteindre le ratio pédagogique adapté d’un instructeur pour quatre stagiaires.
Un travail préparatoire a été effectué trois semaines en amont pour réaliser des outils pédagogiques sur des supports informatiques et audiovisuels (Powerpoint, affiches pédagogiques A1, vidéos, etc.) et traduits en kurde afin de pouvoir arriver au Kurdistan dans les meilleures conditions. Ces aides pédagogiques ont été travaillées en prenant en compte les dernières connaissances acquises sur la ligne de front de la coalition à Mossoul et des retours d’expériences irakiens, syriens et afghans.
A la date prévue, les quatre formateurs français experts en déminage, accompagnés de 4 traducteurs-interprètes français-kurde, ont commencé leur formation de 6 semaines dans les salles de cours prévues à cet effet. Les aides pédagogiques ont tapissé les murs des salles et des couloirs. Des EEI factices, à vocation pédagogique, ont été construits par les formateurs et utilisés et détruits lors des séances pratiques sur les terrains d’exercice. Les bénéficiaires directs du projet, appartenant majoritairement à l’IKMAA, sont destinés à devenir membres des unités de déminage et de dépollution déployées sur l’ensemble du Kurdistan iraquien au fur et à mesure du retrait des combattants de l’EI. Les candidats à la formation devaient au moins être qualifiés NEDEX 2 ou pouvoir attester d’une expérience opérationnelle équivalente. La formation s’est déroulée en français, avec une traduction simultanée en langue kurde. Au cours de la formation, les apprenants travaillent par binômes afin de pouvoir s’appuyer mutuellement au cours des interventions, notamment lors de la mise en œuvre des modes opératoires impliquant des matières explosives.
Lors de cette action de formation, un test réel a aussi été effectué sur l’usage d’un drone dans le but de valider un mode opératoire sur la fouille et recherche de zones bâties intactes ou effondrées. Le but est d’en tirer des éléments visuels sur la présence de victimes et/ou de pièges sans changer l’environnement et avant une intervention physique des techniciens démineurs. Pour ce faire, c’est le drone ELIOS de la société Flybility qui a été testé. Il est équipé d’une caméra et d’un projecteur qui lui permettent d’intervenir dans des zones confinées et dans le noir. Il est enveloppé d’une protection grillagée qui lui évite tout contact avec des angles saillants qui pourrait endommager ses hélices.
Cette action de formation a permis de former et de diplômer 17 experts dans le domaine de la destruction des engins explosifs improvisés (C-IED/IEDD) avec l’utilisation de moyens techniques adaptés et selon des méthodes enseignées dans les meilleurs centres de formation internationaux.
En raison de la nécessité d’anticiper les actions de stabilisation dans la région de Mossoul et dans la plaine de Ninive, d’autres actions de formation au déminage sont d’ores et déjà en préparation.
Les associations « L’Œuvre d’Orient », présidée par le Vice-amiral (2S) Pierre Sabatié-Garat, et « Fraternité en Irak », présidée par Faraj-Benoit Camurat ainsi que la Fondation Saint Irénée soutiennent les minorités persécutées dans cette région, notamment les chrétiens d’Orient. Unissant leurs moyens au sein d’une plate-forme commune, elles ont mandaté l’ONG HAMAP-Humanitaire pour effectuer une reconnaissance dans la vallée de Ninive afin de dresser l’état des lieux de la pollution par la présence de mines et d’EEI et d’identifier les entités les plus adaptées à recevoir une formation. En effet, si cette zone a été libérée récemment de la présence humaine de Daesh, elle n’a pas été libérée de la présence de mines et d’EEI posés pendant l’occupation au moment du retrait de cette force.
L’ONG HAMAP-Humanitaire, en coopération étroite avec GEODE, a donc envoyé un expert en destruction des EEIs sur place pour y mener une enquête dans toute la zone de manière à évaluer la pollution pyrotechnique ainsi que les mesures à prendre pour permettre le retour des habitants dans les villes et villages le plus rapidement possible. Un second expert de la Fondation DIGGER a aussi été inclus dans cette mission d’évaluation pour définir la possibilité de mettre en place des technologies innovantes en vue de participer en sécurité à la dépollution et au déblaiement des décombres potentiellement piégés dans ces localités. Dans les autres villes et villages, Batnaya, Ba’ashiqa, Karamless et Qaraqosh, c’est la désolation qui règne. Les décombres sont piégés avec des engins explosifs improvisés mais pas seulement. En effet, il a été découvert, entre autres choses, un atelier de fabrication d’EEI dont des matériels électroménagers dans le but de piéger les logements encore intacts pouvant être réintégrés par les propriétaires.
Les deux experts déployés ont permis ainsi de faire une évaluation précise de la problématique liée à la pollution pyrotechnique par EEI. La mission a relevé visuellement la présence d’une vingtaine de ces engins dans la cour de l’université située entre Qaraqosh et Karamless, généralement sous la forme de plateau de pression légèrement enfouis sous des gravats!
Dès lors que la ville de Mossoul sera libérée, ainsi que toute la vallée de Ninive, il est important qu’aux experts déjà formés puissent s’ajouter des volontaires des autres communautés, formés professionnellement à des méthodes de destruction des EEI présents dans les gravats, les maisons, les appartements, les lieux publics et privés. Cette formation devrait déboucher sur la dépollution des villes et villages, en fonction des priorités définies par les responsables locaux avec des actions d’assistance technique lors des activités opérationnelles. Aux hommes formés et entraînés, pourraient être associées des technologies innovantes développées par DIGGER, avec des engins adaptés, permettant de réduire au maximum le risque lors des opérations de déblaiement, de dépollution pyrotechnique et de restauration de la vie sociale et économique en vue du retour des communautés vers leurs habitations.
Le Centre de crise et de soutien du Ministère des Affaires étrangères est actuellement sollicité pour continuer à appuyer de futures opérations de déminage et de formation au déminage en soutien de l’initiative commune des ONG françaises « L’Œuvre d’Orient »,« Fraternité en Irak » et la « Fondation Saint Irénée », présentes sur le terrain. Cette concentration des efforts, au profit de l’Irak et des minorités victimes de persécutions ethniques et religieuses, permettra de continuer à mobiliser les experts démineurs français réputés pour leur excellence, accélérant ainsi le retour des populations déplacées chez elles en toute sécurité.